Lundi de Pentecôte travaillé ou férié : comment fonctionne la journée de solidarité ? (2024)

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La contribution des salariés et des retraités a rapporté en douze ans plus de 35milliards d’euros à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.

ParMathilde Damgé, Jonathan Parienté, Maxime Vaudano et Anne-Aël Durand

Publié le 19 mai 2024 à 07h08 (republication de l’article du 13 mai 2016 à 19h52)

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Lundi de Pentecôte travaillé ou férié: comment fonctionne la journée de solidarité? (1)

C’était après la canicule meurtrière de 2003: le président Chirac et son gouvernement imaginent de sacrifier un jour férié pour financer une Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Assoupli en2008, puis étendu aux retraités, le mécanisme rapporte plus de 3milliards d’euros par an.

1. Comment cette journée de solidarité est-elle née?

2003: réagir après la canicule

L’été 2003 a été marqué par une canicule qui a provoqué la mort prématurée de quelque 15000 personnes, âgées pour la plupart.

Fragilisé par son long silence estival, plombé par la gestion jugée calamiteuse du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, Jacques Chirac avait tenté de reprendre la main en annonçant une mesure symbolique: les Français allaient devoir travailler un jour férié pour financer la solidarité en faveur des personnes âgées.

Le gouvernement songe d’abord au 8Mai, avant de trancher en faveur du lundi de Pentecôte, qui présente un double avantage. D’abord, ce n’est pas une fête religieuse – seul le dimanche de Pentecôte l’est. Et par définition, le lundi de Pentecôte ne tombe jamais le week-end et permet d’obtenir des ressources constantes.

2004: une loi sur «l’autonomie»

Le principe de cette journée de solidarité est retranscrit dans la loi du 30juin 2004:

«Une journée de solidarité est instituée en vue d’assurer le financement des actions en faveur de l’autonomie des personnes âgées ou handicapées. Elle prend la forme d’une journée supplémentaire de travail non rémunéré pour les salariés et de la contribution [des employeurs pour financer] l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.»

Le texte de loi précise qu’«en l’absence de convention ou d’accord, la journée de solidarité est le lundi de Pentecôte».

2008: le lundi… ou pas

Inégalement appliquée et cible de critiques récurrentes, la journée de solidarité est réformée en2008. Depuis cette date, les entreprises sont libres de choisir le jour qui sera travaillé par les salariés pour financer la dépendance, qu’il s’agisse du lundi de Pentecôte ou d’un jour quelconque de l’année – à l’exception du jour de Noël ou du Vendredi Saint en Alsace et Moselle, soumis au Concordat.

2. Qui travaille aujourd’hui, le lundi de Pentecôte?

L’assouplissem*nt de 2008 donne plus de latitude aux employeurs: certains optent pour la suppression d’un jour de congé ou de réduction du temps de travail (RTT), d’autres en font cadeau à leurs salariés. Le principe général restant que les salariés travaillent 7heures de plus dans l’année sans être payés. La SNCF, par exemple, avait décidé de répartir 1 minute 52secondes de travail supplémentaire par jour.

Selon une étude du groupe Randstad, menée en2016 auprès de 25 de ses agences de travail temporaire, l’activité économique était cette année-là en recul de 70% le lundi de Pentecôte. L’industrie était quasi à l’arrêt, hormis certaines PME, alors que les services, en particulier les commerces, fonctionnaient presque normalement. Une situation proche d’un jour férié classique, et bien loin de l’année 2005, où 44% de salariés travaillaient le lundi de Pentecôte.

Le syndicat CFTC, qui déplore ces disparités entre les salariés (et plus encore avec les professions libérales, qui ne sont pas soumises à la contribution de solidarité), dénonce le principe de travailler gratuitement. Estimant que l’effort est injustement réparti, il dépose chaque année un mot d’ordre de grève pour «couvrir» tout salarié du privé qui décide de ne pas travailler à la Pentecôte.

3. Comment cette journée rapporte-t-elle de l’argent?

Pour son travail, un employé perçoit un salaire. La journée supplémentaire – qu’il s’agisse du lundi de Pentecôte ou d’un jour quelconque – n’est pas payée en plus. Ce qui signifie que l’employeur est gagnant puisque, à salaire égal, son employé travaille davantage.

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En contrepartie de ce «gain», l’employeur doit verser 0,3% de sa masse salariale à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Cette contrepartie s’appelle la contribution solidarité autonomie (CSA). Les revenus du capital, hors épargne populaire type Livret A, sont également soumis à ce prélèvement de 0,3%.

Depuis le 1eravril 2013, les retraités et invalides assujettis à l’impôt sur le revenu doivent aussi contribuer à hauteur de 0,3% de leurs pensions au financement de la dépendance en s’acquittant de la contribution additionnelle solidarité économie (CASA). Une manne destinée à financer la loi d’«adaptation de la société au vieillissem*nt» entrée en vigueur au 1erjanvier 2016.

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4. Combien la journée de solidarité rapporte-t-elle?

Selon la CNSA, la journée de solidarité devait rapporter plus de 3milliards d’euros pour l’année 2017: 2,367milliards d’euros financés par les contributions des salariés (CSA) et 749millions versés par les retraités (CASA). Depuis sa mise en place en2004, le montant total versé pour l’autonomie des personnes âgées et dépendantes dépasse les 36milliards d’euros.

La journée de solidarité a rapporté plus de 36 milliards d'euros depuis 2004

Montant annuel de la Contribution de solidarité autonomie (CSA, prélevée sur les salaires) et de la Contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (CASA), prélevée sur les retraites depuis 2013.

Source : CNSA

5. Comment est utilisé l’argent?

En2017, la Caisse nationale de solidarité autonomie doit redistribuer la contribution de solidarité versée par les salariés au profit des personnes âgées (60% de la somme) et des handicapés (40%). La majeure partie financera des établissem*nts spécialisés (maisons de retraite, instituts pour handicapés) et l’autre sera reversée aux départements qui gèrent l’allocation personnalisée d’autonomie, la prestation de compensation du handicap et les maisons départementales des personnes handicapées.

Utilisation de la contribution de solidarité des salariés (CSA) en 2017

Environ 60% des fonds sont alloués en majorité aux personnes âgées dépendantes, et les 40% restants aux handicapés.

Source : CNSA

En revanche, la contribution additionnelle, prélevée sur les retraites et pensions, n’est pas entièrement utilisée pour des actions concrètes: en effet, elle a été créée en2013 alors que la loi sur l’autonomie n’avait pas été votée, et une grande partie des 700millions d’euros récoltés chaque année n’ont donc pas été utilisés jusqu’à présent. En 2017, 10% de la somme rests en suspens (contre 37% en 2016).

10% de la contribution additionnelle, versée par les retraités (CASA), n'a pas été utilisée en 2017

Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales évoquait en2010 une somme de 1,8milliard d’euros d’excédents non utilisés. «On trompe les salariés et retraités, à qui on demande de verser de l’argent pour les personnes âgées et handicapées», dénonçait en 2010 M. Champvert, directeur de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA).

Du côté de la Caisse nationale de solidarité, on explique que seule «une petite partie» des crédits sous-consommés a été réaffectée à l’Assurance-maladie (qui est l’un de ses principaux contributeurs). En2014, pour compenser la «cagnotte» constituée par la CASA, l’Etat a également baissé une partie de ce qu’il verse au titre de la CSG: c’est donc une manière indirecte de détourner l’argent de la caisse vers les finances de l’Etat.

La CNSA précisait en 2016 que les crédits non utilisés constituent des «réserves» pour l’organisme «qui peuvent être réaffectées les années suivantes à des dépenses liées [à son] champ d’intervention» et que les sommes prélevées sur les salaires et les retraites des Français devraient être «pleinement affectées à la CNSA».

Mathilde Damgé, Jonathan Parienté, Maxime Vaudano et Anne-Aël Durand

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